Apprendre avec #9 | Constantine Manos
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Nous nous tournons aujourd’hui vers un nouveau maître de la photographie, Constantine Manos (né en 1934). Manos est un photographe américain d’origine grecque dont le talent exceptionnel résonne à travers son œuvre. Aujourd'hui, nous plongeons dans son univers photographique pour découvrir les leçons précieuses qu'il nous offre. À travers plusieurs enseignements tirée d’une analyse détaillée de son travail, explorons ensemble comment Manos nous invite à embrasser la perfection dans nos compositions et à transformer le réel en suréel.
Constantine Manos Daytona Beach, Florida. USA. 1999. © Constantine Manos | Magnum Photos
1. RECHERCHEZ LA PERFECTION
Constantine Manos nous encourage à ne pas simplement capturer ce qui est évident, mais à composer les éléments d'une image d'une manière qui nous montre quelque chose d'inattendu et d'irremplaçable. Selon lui, les meilleures photos sont des surprises, des moments qui surgissent de manière inattendue mais qui captivent immédiatement notre regard. Pour Manos, chaque composition doit être d'une précision inégalée, recherchant ce qu'il appelle le "poème idéal". De Santa Barbara à New-York, il n’aura eu de cesse durant sa carrière de jouer avec l'idée de complexité.
Sur le plan physique, il remplit ses images d'une multitude de détails, portant une attention particulière à l'arrière-plan. Son objectif est de le rendre non seulement intéressant, mais également soigneusement dégagé de tout élément superflu susceptible de distraire le spectateur et d'entraver la compréhension de l'image.
L’une des caractéristiques du travail de Manos est son jeu très fréquent avec “l’espace négatif”, qui isole les sujets dans leur environnement en les magnifiant.
Sur le plan psychologique, il parvient au fil de ses clichés à capturer l'étrangeté et le mystère de la vie quotidienne, prêtant énormément d’importance à la communication non-verbale des corps qu’il immortalise.
Photographiant principalement dans des lieux exotiques et lors d'événements publics aux États-Unis, tels que Venice Beach et Atlantic City, la Bike Week à Daytona Beach et le Mardi Gras à La Nouvelle-Orléans, il nous offre une vue kaléidoscopique de la culture américaine dans ses deux ouvrages les plus reconnus, American Color et American Color 2, capturant des moments uniques qui défient toute catégorisation, exploitant l’ensemble de son cadre, comme si ses images étaient avides de davantage d'informations autour des bords de l’image.
2. PRATIQUEZ AU POINT QUE CELA DEVIENNE INSTINCTIF
Manos a toujours insisté sur l'importance de la pratique dans la maîtrise de la photographie. Tout comme dans d'autres formes d'art, la photographie demande une obsession et une pratique constante pour perfectionner son art. On ne pourrait être davantage d’accord.
Mais attention, cela ne veut pas dire tout photographier. Comme Manos, nous encourageons chez Préludes durant nos formations les photographes à suivre leur instinct, non pas comme une boussole magique à laquelle on se livre sans réfléchir, mais plutôt comme une somme d'expériences à exploiter. L’instinct se travaille, et il faut apprendre à choisir les moments porteurs d’un véritable potentiel.
3. APPRENEZ À DEVENIR INVISIBLE
“Dans mes recherches de photographies, j’ai fini par réaliser que les meilleures photos sont des surprises, des images que je cherche inconsciemment mais ne reconnais que quand elles apparaissent.“
— Constantine Manos
Devenu maître dans l’art de l’approche, Constantine Manos a appris au fil de sa carrière à anticiper les moments décisifs dans la rue. Il recommande d'être observateur plutôt qu'observé, de devenir un spectateur discret qui attend le bon moment pour capturer l'instant parfait.
Timide de nature, Manos évite souvent le contact visuel direct avec ses sujets. Il préfère observer de loin, anticiper les situations et se fondre discrètement, calmement dans son environnement. Souvent, il peut être amené à jouer la comédie, faisant semblant de photographier un bâtiment ou des arbres. Si on le remarque ou qu’on l’apostrophe, il répond tout simplement qu’il est un photographe qui prend du bon temps.
Pour lui, la présence humaine est l'élément le plus important de ses photos, même une simple ombre humaine peut ajouter une profondeur et une dimension supplémentaires à une image. En utilisant un appareil Leica, il a appris à regarder avec un œil dans le viseur et un autre pour surveiller le reste de la situation, toujours prêt à capturer le moment parfait.
4. LAISSEZ LIBRE COURS À L’IMAGINATION
“Le flot des gens dans un cadre, leurs relations changeantes avec les autres et avec leur environnement, et leurs expressions et gestes en perpétuel mouvement donnent au photographe un choix illimité de moments où appuyer sur le bouton. En choisissant une intersection précise entre le sujet et le moment, il peut rendre l’ordinaire extraordinaire et le réel irréel.”
— Constantine Manos
Manos encourage les photographes à laisser libre cours à leur imagination et à créer des images qui posent des questions plutôt que de fournir des réponses. Il est de cette classe de photographes qui jouent avec le mystère et le surréel dans leurs compositions, laissant les spectateurs interpréter leurs propres significations et découvrir des histoires cachées dans chaque image.
À votre tour, en produisant des photos complexes, qui laissent la porte ouverte à l'interprétation, invitez le spectateur à s'engager activement avec votre travail et à créer sa propre expérience visuelle.
5. ADAPTEZ VOTRE STYLE À VOTRE DISCOURS
Ce sont les images saturées de couleurs de Constantine Manos prises sous le soleil brûlant des plages d'Amérique qui l’ont rendu célèbre. Pourtant, cette vitalité de couleurs parfaitement assortie au dynamisme de ses compositions issues d’une Amérique plastique n’a pas toujours été la norme chez Manos, loin de là.
On pourrait presque croire qu'il s'agit d'un autre photographe tant le contraste est marqué.
À l’image d’un Cristobal Hara (que nous avons évoqué il y a quelques mois dans un article), Manos a tout d’abord maîtrisé l’art subtil du noir et blanc avant de se tourner vers la couleur. Ses premières œuvres sont imprégnées de la réalité de la ségrégation dans sa Caroline du Sud natale, et révèlent une profondeur émotionnelle et une conscience sociale insoupçonnée. Chaque cliché de cette époque témoigne de la sensibilité poignante d’un photographe engagé, qui parvient dès son plus jeune âge à capturer les nuances de l'expérience humaine dans des moments d'intimité et de tension sociale.
Par la suite, c’est son suivi de l'orchestre symphonique de Boston qui l’introduit à une esthétique plus élégante et classique, soulignant l'harmonie et la grandeur de la musique, allant jusqu’à produire lors des ballets des images visant l’abstraction.
Puis, durant les années 60, il décide de partir vivre en Grèce, photographiant les gens et le paysage. Ce travail l'aidera à être accepté comme membre à part entière de l’agence Magnum. Plus tard, le travail sera publié en 1972, sous le titre "A Greek Portfolio". Dans ce projet grec, Manos, né de parents grecs immigrés aux Etats-Unis, embrasse la simplicité et l'authenticité des villages isolés de ses racines familiales, révélant la beauté brute de la vie quotidienne des pourtours de la Méditerranée, dans des compositions certes assez classiques mais extrêmement fortes émotionnellement, travaillant en quasi-isolement durant quatre années.
Ce n’est qu’au début des années 80, à quarante ans passés, qu’il prend la décision radicale de photographier les Américains en couleur, armé d’une pellicule Kodachrome, soucieux de produire quelque chose “qui lui appartienne”. Cherchant un style complètement différent de ce qu’il avait pu produire jusque là, ce choix fondamental le conduira à la publication de ses ouvrages les plus reconnus et à établir comme nous l’avons vu un corpus important de travail en couleur d’une profondeur sans égale.
Voilà une leçon importante pour nous photographes. Ne vous enfermez pas dans une esthétique unique, n’ayez pas peur d’exprimer l’ensemble de vos facettes, et surtout adaptez votre style à votre message et votre discours.
BONUS : ANALYSE D’UNE IMAGE
À l'instar d'Henri Cartier-Bresson, qui avait pour habitude de ne (presque) jamais recadrer ses images, Constantine Manos est reconnu pour être l’un de ces photographes pour qui le recadrage se fait au moment de la prise de vue, ce qui rend le résultat encore impressionnant. Sur cette image, tirée d’”American Color 2” et capturée à Daytona Beach en Floride en 1997 lors de la Bike Week, un événement annuel qui attire des milliers de motards pour une semaine de festivités, l’œil du photographe se déploie comme jamais.
Bike Week, Daytona Beach (Florida), 1997. © Constantine Manos
Manos semble avoir scrupuleusement suivi le célèbre conseil de Robert Capa tout au long de son travail en couleur, selon lequel nos photos ne sont pas assez bonnes si nous ne sommes pas assez proches. En effet, comme nous l'avons vu, Manos a l'habitude de se rapprocher intimement de ses sujets principaux, et cette image ne fait pas exception.
Le photographe cadre les jeunes femmes au premier plan de manière à ne montrer que leurs corps ainsi que leurs ombres projetées au sol, semblant les saisir dans un moment de célébration.
Cette exclusion des visages crée une promiscuité qui peut paraître dérangeante avec du recul. En réduisant les sujets à leurs corps, Manos nous place dans une position de véritable intimité avec les trois jeunes femmes, nous obligeant à adopter un point de vue similaire à celui des hommes qui les regardent, voire encore plus troublant sachant que nous les observons de dos, sans qu’elles en aient probablement conscience. En réduisant les jeunes femmes à de simples objets, le photographe met en évidence l'aspect voyeuriste inhérent à la photographie, invitant ainsi à réexaminer notre propre regard.
En omettant délibérément de montrer leurs visages, Manos détourne notre attention vers les hommes de l’autre côté de la rue, et crée un lien entre leurs regards et les corps en bikini.
Comme toujours chez Manos, on a affaire à une scène très colorée. On retrouve notamment les trois couleurs primaires (jaune, rouge, bleu) sur les bikinis. Selon les propres mots de l’auteur, à cette époque la célèbre plage de Daytona était ouverte aux voitures. Ces filles étaient en train d’encourager les véhicules qui passaient depuis l'arrière d'un pick-up. Lui attendait patiemment qu'une voiture aux couleurs vives arrive près des filles avec son objectif grand-angle. Finalement, tout s'est aligné. La combinaison parfaite de l’approche et du fameux instant décisif.
La voiture rouge, dont la couleur attire inévitablement le regard, établit un lien visuel avec les autres éléments rouges qui parsèment la photo.
On observe enfin une composition triangulaire forte et une grande profondeur. Manos comme souvent parvient à occuper tout l’espace. Chaque partie du cadre est bien remplie et bien équilibrée, et le photographe nous prouve une fois de plus toute l’étendue de son talent à raconter une histoire visuelle forte en une image apparemment simple.
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Jack Solle & Carolina Luna
Fondateurs de Préludes Photo, nous sommes férus de photographie de rue, de voyage et de paysage, et transmettons notre passion pour la narration visuelle à la croisée de nombreux chemins photographiques dans les formations que nous proposons en France et à l’étranger.
