Apprendre avec #8 | Martine Franck
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Dans le paysage de la photographie du XXe siècle, le nom de Martine Franck (1938-2012), résonne comme une figure marquante, et pourtant si discrète. Souvent dans l'ombre de son mari, le célèbre photographe Henri Cartier-Bresson, elle a cependant émergé comme une voix singulière, surpassant sa timidité pour devenir une force inspirante à travers des images d’une qualité remarquable. Son travail, empreint d'une simplicité géométrique et d'une empathie palpable envers ses sujets, offre une source inestimable de leçons pratiques pour les photographes de tous horizons. En explorant ses compositions épurées et en célébrant l'inattendu dans son travail, nous découvrons une vision artistique unique qui continue de captiver et d'inspirer les générations actuelles de photographes.
1. SURMONTEZ VOTRE TIMIDITÉ
“La photographie est venue comme substitut, j’ai souffert d’être timide. Tenir un appareil m’a donné une fonction, une raison d’être quelque part, comme témoin, non comme actrice.”
— Martine Franck
Martine Franck a souvent partagé comment la photographie lui a fourni un moyen de surmonter sa timidité. Pourtant, lorsque l’on regarde certaines de ses images, on peut en douter.
N’est-ce pas là l’œuvre d’une personne sûre d’elle et de ses compétences ? Mais c’est justement cette expérience qui souligne le pouvoir transformateur de la photographie sur les individus et sa capacité à révéler le meilleur de chacun. Pour ceux qui peuvent être réservés ou timides, cela témoigne du fait que la photographie peut être un outil puissant pour s'exprimer. En capturant le monde à travers son objectif, Franck a trouvé une voix, transcendant ses propres inhibitions. À son image, n’ayez pas peur de vous affirmer à travers la pratique de la photographie. Nous avons tous une histoire à raconter. Utilisez la photographie comme un véhicule pour partager votre récit avec le monde.
2. RECHERCHEZ LA SIMPLICITÉ
Les images, souvent dépourvues de superflu de Martine Franck, offrent une leçon de composition épurée et d'équilibre visuel. De son œuvre se dégage une affinité pour la géométrie et la précision du cadre. En étudiant son travail, en particulier ses portraits et ses scènes de la vie quotidienne, nous photographes pouvons apprendre l'importance de la simplicité dans la création d'images puissantes et mémorables.
Les photographies de la photographe belge nous rappellent des notions essentielles dans notre pratique de la photographie : la recherche du contact visuel et de l’émotion, la rigueur dans la composition, la maîtrise de la lumière naturelle, mais aussi la patience. "Il fait une certaine lenteur en photographie" disait-elle.
Elle photographiait avec un Leica 35mm, sa focale favorite, qui lui permettait de jouer énormément avec les espaces. Chez Préludes, on encense depuis longtemps cet objectif bien connu des photographes de rue et de voyage aux nombreuses qualités, on a même écrit un article sur le sujet !
3. CÉLÉBREZ L’INATTENDU
« Une photographie n’est pas nécessairement un mensonge mais ce n’est pas la vérité non plus. Il faut être prêt à saluer l’inattendu. »
— Martine Franck
Martine Franck était bien consciente que la photographie peut être imprévisible. Caractérisée par l’attrait pour l’instantané, son œuvre révèle une capacité à embrasser l'inattendu, une qualité essentielle pour tout photographe. Être ouvert aux moments inattendus, aux surprises qui se présentent devant l'objectif, peut conduire à des images uniques et pleines de vie.
4. MONTREZ DE L’EMPATHIE
“Je me sens concernée par ce qui se passe dans le monde et impliquée dans ce qui m'entoure. Je ne veux pas seulement documenter, je veux savoir pourquoi telle chose me dérange ou m'attire et comment une situation peut affecter la personne concernée.”
— Martine Franck
Contrairement à certains de ses pairs, Martine Franck accordait une grande importance à l’acte même de photographier, au temps de pose et au lien créé avec le sujet photographié. Son style se distingue ainsi par une grande sincérité : elle était attentive, tout en restant en accord avec elle-même, évitant tout ornement superflu ou mise en scène artificielle tels que les flashs ou les décors embellissants.
Juste et tendre, sa vision du monde est marquée par un besoin constant d'ouverture, d'horizons. Une empathie contagieuse capturée de manière infaillible dans les paysages et les visages de ceux qu'elle photographiait.
5. TOUCHEZ À L’UNIVERSEL
“Tout ne se photographie pas. Il y a des moments où la souffrance, la déchéance humaine vous étreignent et vous arrêtent… La photographie montre plus qu’elle ne démontre, elle n’explique pas le pourquoi des choses.”
— Martine Franck
Dans l’œuvre de Martine Franck se dégage un intérêt infini pour le monde qui l’entoure. Le féminisme, les inégalités sociales, et le bouddhisme se mêlent aux artistes, écrivains et paysages, des sujets que Martine Franck explore et revisite au fil des années et à travers divers voyages aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Irlande ou en Asie.
En 1980, elle publie “Le Temps de vieillir”, ouvrage dans lequel elle explore le thème la vieillesse à travers une série d'images sensibles et révélatrices. Scruté à travers l'objectif de sa sensibilité désintéressée, avec un œil attentif à la forme et à la composition, la question du temps qui passe, universelle, et par ailleurs présente tout au long de son œuvre, s’exprime ici de la plus belle des manières.
Ce sont les thèmes qui nous rassemblent qui auront tendance à avoir un impact durable et significatif sur notre perception du monde et sur notre compréhension de la condition humaine. À sa manière, souvenez-vous du pouvoir immense que vos photographies détiennent, celui de provoquer l’émotion et la réflexion chez l’autre.
BONUS : ANALYSE D’UNE IMAGE
Pour finir, abordons une image emblématique capturée par Martine Franck au Népal en 1996. Ce pays revêt une signification particulière pour elle, car c'est là, lors d'un voyage en 1964, qu'elle a initialement découvert sa passion pour la photographie. Grâce au partage des photos prises lors de ce premier voyage, elle a ensuite entrepris une carrière remarquable dans le domaine de la photographie.
Tulku Khentrul Lodro Rabsel, 12 ans, avec son tuteur Lhagyel, Bodnath, Monastère Shechen, 1996 © Martine Franck
Ce qui marque en premier dans cette image c’est l’apparente simplicité avec laquelle Franck retranscrit la profonde connexion entre le vieux moine et son jeune disciple, appelé “Tulku”. Selon les règles du monastère, chaque “Tulku” est instruit par un tuteur et est soit empêché, soit limité à voir d'autres jeunes moines de leur groupe d'âge.
La photographe met en évidence en une seule image la transmission des enseignements et des valeurs bouddhistes à travers les générations, d’une part grâce à l’incongruité de la scène (l’oiseau sur la tête du vieux moine, source d’attention) mais aussi aux regards empreints d’insouciance des personnages et à la présence d’un manuscrit.
Utilisant probablement un 35mm, Franck donne de l’importance à l’espace autour des moines et joue avec la lumière naturelle émanant de la fenêtre, qui lui permet d’opérer avec cette grâce caractéristique de son œuvre, en insistant sur le doux contraste entre jeunesse et vieillesse.
Martine Franck était reconnue pour son approche précise et méthodique de la photographie. Il est également pertinent de souligner qu'elle avait étudié l'histoire de l'art dans sa jeunesse. De cette éducation, il ne fait aucun doute que son regard en tant que photographe a été influencé par la peinture.
Avec cette photo, son goût pour la géométrie et l’art pictural de fait aucun doute. Elle nous permet d’évoquer les grilles harmoniques, qui constituent des outils essentiels pour positionner les points de référence des personnages et représentent l'un des premiers gestes de composition à l'intérieur d'un format donné.
Lorsqu'un peintre débutait une nouvelle œuvre, il commençait par des dessins d'études de personnages, de draperies, de visages, voir de paysages ou de décors sur un thème donné. Mais ensuite, il devait organiser toutes ses esquisses à l'intérieur d'un format pour leur donner une cohérence, une vie. C'est là que les grilles de composition entrent en jeux pour organiser, donner du sens, raconter, tout en étant agréable à l'œil.
Nous pouvons notamment mentionner la demi-diagonale verticale de gauche (en jaune), qui accompagne la silhouette du vieux moine et traverse la tête de l’oiseau. Une autre demi-diagonale, horizontale elle (en vert), vient parcourir le haut du crâne du moine où est perché l’oiseau et vient rencontrer le regard du jeune moine de droite.
Sur cette image, il est clair que Martine Franck utilise (de manière totalement consciente ou pas, là n’est pas la question) de nombreuses lignes qui accompagnent les personnages et leur environnement et contribuent à l’harmonie de l’ensemble de la scène, créant une image à la qualité picturale indéniable.
D’autres lignes, verticales mais aussi horizontales au croisement de diagonales, viennent à leur tour mettre en évidence les emplacement idéaux que viennent occuper certains éléments de l’image.
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Jack Solle & Carolina Luna
Fondateurs de Préludes Photo, nous sommes férus de photographie de rue, de voyage et de paysage, et transmettons notre passion pour la narration visuelle à la croisée de nombreux chemins photographiques dans les formations que nous proposons en France et à l’étranger.
