Gitans, l’œuvre ultime de Josef Koudelka

Gitans, l’œuvre ultime de Josef Koudelka

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Ce qui suit est une transcription de la vidéo ci-dessus.

© Gitans, Josef Koudelka - Delpire & Co | Tous droits réservés

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés

Aujourd'hui nous allons parler du livre Gitans, de Josef Koudelka. C'est un travail magnifique d'un photographe que nous admirons énormément chez Préludes. Et même si beaucoup a déjà été dit ou écrit sur le sujet, nous ne voulions pas manquer l’opportunité de partager quelques grilles de lecture avec vous sur cette œuvre majuscule, l’une des publications emblématiques de l'histoire de la photographie. Il y a beaucoup à dire et, surtout, beaucoup à apprendre de Koudelka, immense photographe à l’histoire de vie très particulière, et de ce livre Gitans, d’une humanité bouleversante.

© Josef Koudelka - Gitans

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés

Nous sommes au début des années 60, Koudelka est alors un jeune ingénieur aéronautique qui aime photographier pendant son temps libre. À cette époque, il commence à capturer la vie quotidienne et les événements culturels de sa Tchécoslovaquie natale, et notamment les scènes de théâtre. Cet intérêt le conduit à développer un mode de vie bohème et à se lier d'amitié avec toute une génération d'artistes et d'intellectuels activement engagés. C’est une époque marquée par un désir de changement, d'exploration créative et de remise en question des normes établies.

Le théâtre par Josef Koudelka

Le théâtre vu par Josef Koudelka.

Également musicien à ses heures perdues, Koudelka se rapproche par la suite de la communauté Rom, et décide très tôt de quitter définitivement sa carrière d'ingénieur pour se consacrer à 100% à la documentation de la vie gitane, un travail fondateur dans sa carrière de photographe. Ainsi, aujourd'hui, pour discuter de ce travail et de la vie de cet incroyable auteur, car les deux sont indissociables, nous allons approfondir certains facteurs fondamentaux qui construisent cette œuvre afin de découvrir ce qui la rend si exceptionnelle.

“J'étais toujours attiré par ce qui prend fin”

Le premier de ces facteurs que nous allons évoquer est le temps. Josef Koudelka a réalisé ce travail, "Gitans", pendant près de dix ans, entre 1962 et 1971, ce qui a abouti à une œuvre extrêmement cohérente. Un travail de longue haleine dans lequel Koudelka photographie des communautés de Slovaquie, de Moravie, de Bohême, de Roumanie, de Hongrie, mais aussi de France, d'Espagne et d’Italie. Dès le premier moment, Koudelka a ressenti le besoin de s'engager pleinement dans ce projet et de tout photographier.

Le photographe avait alors, et conserve encore aujourd'hui, une conscience aiguë du temps. À travers son œuvre, il nous dévoile un mode de vie aujourd'hui révolu. Lorsqu’il entreprend de saisir le quotidien du peuple Rom en Tchécoslovaquie, un programme d’État est alors en cours pour les inciter à s'intégrer à la vie “moderne”, mettant ainsi en péril leur culture. Koudelka savait qu'il ne pourrait saisir une telle opportunité à nouveau. Une chose intéressante à souligner, c'est que lorsqu'on lui demande ce qui l'a motivé à photographier les gitans, il ne parvient pas à l'expliquer clairement. Une chose est sûre : il s'est laissé guider par son intuition. Une leçon précieuse, à n'en pas douter, que nous pouvons tirer de cet auteur qui semble capturer uniquement ce qui résonne avec sa propre histoire, ce qui le touche. Il photographie ce que lui dicte sa conscience, comme en témoigne son refus tout au long de sa carrière de travaux rémunérés afin de préserver sa liberté et de respecter son éthique, privilégiant ainsi une photographie exclusive à son propre dessein, sans compromis.

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés

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Le temps joue également un rôle dans l'édition de l’ouvrage qui nous intéresse, Koudelka n’ayant eu de cesse d’ajuster la présentation de ses œuvres de jeunesse sur les Gitans, faisant appel à des formats très variés. En ce qui concerne les éditions françaises, au nombre de trois, c’est la dernière en date, sortie en 2019, que nous vous présentons aujourd’hui. Cette édition est le prolongement de poche de l’édition grand format sortie en 2011, qui est celle qui se rapproche le plus du concept d’origine. Car contrairement à la première édition de 1975 parue sous le titre Gitans - La fin du voyage, et qui ne contenait qu’une soixantaine de clichés, ce sont ici 109 images qui composent l’ouvrage, suivant la maquette qui aurait dû être la sienne à l’origine. Car à l'instar de ces communautés nomades, le photographe a lui-même pris le chemin de l’exil. Ce fut peu après avoir documenté l'invasion de Prague par les Soviétiques en 1968, alors qu'il était menacé de répression, qu'il fut contraint de quitter son pays, et de temporairement abandonner son projet, finalement publié quelques années plus tard, à la fois chez Aperture aux Etats-Unis et chez Delpire en France.

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés

Un livre, trois éditions.

À chaque édition, Koudelka décide d'apporter des modifications, s'engageant ainsi dans un exercice captivant consistant à revisiter régulièrement ses propres images. Il les examine à nouveau afin de créer de nouveaux sens pour sa propre narration et de proposer une perspective différente. Par exemple, dans l'édition de 2011, des images en double page sont disposées sur un pli, contrairement à cette édition où toutes les images ont la même taille, avec un espace blanc constant, à gauche. Cela nous oblige, tout en nous accordant le temps nécessaire, à observer chaque image individuellement et à déchiffrer le sens de l'orientation, puisque des photos horizontales et verticales sont présentées de manière équivalente. Enfin, la présence de deux textes, l'un en introduction et l'autre en conclusion, pourrait également être interprétée comme une manière de maintenir la continuité du récit et l’immersion du lecteur dans son univers visuel, sans distraction aucune.

“Je ne reste jamais dans un pays plus de trois mois”

Vivre au sein de la communauté Rom permet à Josef Koudelka de capturer des photographies d'une certaine manière "intimes". Dans ses clichés, nous ressentons une proximité avec les personnes, la plupart d'entre elles regardant directement l'objectif, posant, établissant une connexion avec le photographe et, à travers lui, avec nous. Beaucoup de ces photos ont été prises dans des espaces restreints, à l'intérieur de leurs habitations précaires ou des caravanes où vivaient les Gitans. Koudelka, a su établir un lien de confiance en se basant sur son intérêt initial pour leur musique et leur mode de vie, et parce qu'il s'identifiait véritablement à tout cela. Il était également, comme eux, une sorte d’"outsider" dans son propre pays, un pays qui, au demeurant, n'était nullement intéressé par la représentation de ces populations.

À l'époque en Tchécoslovaquie, tout comme dans de nombreux autres pays, les communautés gitanes étaient exclues de la société et rejetées par le reste de la population. Souvent l’objet de nombreux clichés tenaces, identifiés comme ceux capables de tromper, mentir ou voler, leur absence d'intégration dans l'État et leur marginalisation les condamnaient à vivre dans la pauvreté. Koudelka se présentait comme l'un d'entre eux, partageant leurs conditions de vie. À cette époque, alors que les Roms dormaient dans leurs caravanes, lui-même dormait en plein air, à la belle étoile.

“J'ai appris à voir le monde comme un théâtre”

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés

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Le théâtre est l'une des caractéristiques majeures de cette œuvre, où Koudelka relie naturellement l’univers musical de ces nomades à son univers visuel. Il raconte que ce qui le pousse véritablement à se rapprocher d'eux au départ, c'est leur musique, qui le touche profondément. Au début, il transporte avec lui un enregistreur avec lequel il capture les chansons qu'il entend et offre les photographies qu'il prend, des gestes grâce auxquels il parvient à établir facilement des liens avec eux. Ses origines en tant que photographe de théâtre, laissent une empreinte visuelle sur son travail, construisant une vision du monde comme une scène, où les hommes sont les acteurs.

Dans le travail, nous découvrons des compositions dynamiques, souvent pleines de mouvement, très bien équilibrées. La lumière, les gestes, y occupent une place centrale. Non seulement le travail de Koudelka est bien encadré et composé, mais il déborde également de vie et d’émotion. L'auteur semble recréer des scènes du quotidien, mais aussi des célébrations qui rythment la vie de ces communautés nomades. La mort, enfin, y est très présente. De ces clichés s’échappe une vision à la jonction du documentaire et du subjectif. Comme le dit si bien Koudelka lui-même, “mon travail n’était pas documentaire, les Gitans ne sont pas seulement tels qu'ils apparaissent sur mes photos, c'est ma vision d'eux.”.


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Mais comment Josef Koudelka parvient-il à créer ces images si puissantes ? Qu'est-ce qui les rend si saisissantes pour l'œil ? Observons attentivement certaines de ces photographies. Je pense qu'une des clés réside dans le pouvoir du contact visuel entre les protagonistes et l'appareil photo, ainsi que dans la proximité. Cela permet aux spectateurs de pénétrer directement dans l'image pour ensuite l'explorer. Ce lien de confiance que le photographe réussit à établir se transmet à travers ses images, car la distance qu'il maintient avec les sujets est vraiment courte, nous permettant ainsi de nous immerger dans la scène comme si nous y étions. Il est à noter que Koudelka a utilisé un objectif 25mm, lui offrant un champ de vision très large. On imagine donc aisément le photographe aller au plus près de ses sujets pour obtenir ces portraits.

En matière de composition, trois valent souvent mieux que deux, et ces exemples clairs démontrent comment les compositions triangulaires confèrent aux photographies de Josef Koudelka un réel équilibre. Le photographe utilise ces triangles pour d’une part remplir son cadre mais aussi pour apporter du mouvement à ses images, nous invitant par la même occasion à observer les scènes de façon répétée et circulaire.

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés

Son œil capture rapidement les scènes, organisant les multiples éléments à des endroits stratégiques, comme ici, où les figures se détachent bien du fond, chaque sujet réalisant une action et apportant son mouvement propre, offrant beaucoup à voir dans une seule image. Les lignes dirigent le regard, nous incitant à entrer directement dans la scène pour ensuite la parcourir, ce qui donne des images très puissantes, accrocheuses.

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés

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Regardez enfin comment il travaille avec la lumière, une caractéristique qui se répète dans ses photographies de veillées funèbres.

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés

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Ici, le photographe se positionne en contre-jour. Ce qui pourrait sembler être un désavantage dans de nombreux cas, Koudelka le transforme en atout. Je pense qu'il y a une intention, peut-être consciente ou non, de laisser entrer cette lumière par la fenêtre devant lui, mais de dos à ses sujets principaux, ce qui peut revêtir une signification associée à l'imaginaire religieux, biblique, avec la lumière de Dieu qui se pose sur le sujet élu.

Conclusion

À travers cet ouvrage d’où s’échappent de multiples sentiments tels que l’amour, la compassion, la tristesse et le désespoir, de grandes leçons peuvent être ainsi tirées. Josef Koudelka est indubitablement l'un des photographes les plus importants de notre époque. Humblement, nous avons tenté aujourd’hui d'analyser sa qualité de photographe, mais aussi essayé de donner à voir comment sa vie pouvait être mise en relation avec cette splendide et tragique description de modes de vie aujourd’hui disparus. 

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés

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Nous avons également appris que, en tant que photographes, nous pouvons enrichir notre travail non seulement par l'influence d'autres photographes, mais aussi par d'autres formes artistiques telles que la musique ou le théâtre, la peinture et le cinéma. Koudelka nous prête en quelque sorte son regard pour voir la réalité comme le grand théâtre qu'est la vie, où nous sommes tous des personnages de notre propre histoire et où il suffit de savoir comment se mouvoir pour raconter quelque chose de la meilleure des manières.

Enfin, Koudelka, d'une certaine manière,  nous enseigne ce que nous pourrions appeler une éthique de l'intuition : poursuivre là où notre conscience nous guide, même si cela implique de transgresser certaines normes sociales imposées. Et surtout, ne pas oublier que la valeur de faire ce que nous aimons, ne doit pas être dictée par des considérations économiques, mais par ce qui a de la valeur pour nous.

© Josef Koudelka - Gitans | Tous droits réservés


jack solle et carolina lun fondateurs de Préludes Photo

Jack Solle & Carolina Luna

Fondateurs de Préludes Photo, nous sommes férus de photographie de rue, de voyage et de paysage, et transmettons notre passion pour la narration visuelle à la croisée de nombreux chemins photographiques dans les formations que nous proposons en France et à l’étranger.


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