Natalia Favre, photographe de l’intime
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Préludes Photo vous présente aujourd’hui Natalia Favre, photographe argentine vivant à Cuba depuis 6 ans, et qui nous accompagnera à partir de l’année prochaine durant les voyages photo que nous organisons à Cuba. Elle partagera avec nous toutes ses connaissances et son expérience de La Havane, loin des sentiers battus, proche de la culture afro-cubaine et des gens.
Préludes Photo (P.P) : Bonjour Natalia, peux-tu te présenter à notre communauté ?
Natalia Favre (N.F.) : Je suis argentine, j'ai 35 ans, j'ai grandi à Buenos Aires dans un petit appartement avec ma sœur, aujourd’hui sculptrice, mon père et ma mère, qui n'ont rien à voir avec le monde de l'art. Ma mère était enseignante et mon père est économiste. J'ai tracé ma propre voie. Je pense que c'est pour cela que j'ai aussi l'impression d'avoir commencé tard, mais c'est parce que j'ai avancé pas à pas dans ma recherche. Et au final, j'ai trouvé ce qui me passionne, et ce que je veux faire pour le reste de ma vie.
À mes 27 ans, j'ai commencé à voyager, un peu sans but, jusqu'à ce que je ressente le besoin de m'enraciner, et quelque chose que je ne peux toujours pas expliquer rationnellement m'a amené sur cette île. Les deux premiers voyages que j'ai effectués à Cuba étaient de la pure curiosité, je voulais savoir de quoi il s'agissait, essayer de comprendre le pays, qui est extrêmement complexe et nécessite beaucoup de temps pour être déchiffré. Puis j'y suis retourné pour présenter un film, réalisé au Brésil, au festival du film de La Havane. Je vis sur l'île depuis six ans maintenant, et depuis six mois, j'ai ma propre maison et je me sens chez moi.
P.P. : Comment et quand as-tu commencé à prendre des photos ? Quelle a été ta formation ?
N.F. : J'ai étudié le design de mode à l'université de Buenos Aires. C’est quelque chose que je ne dis jamais ahah ! Une fois mon diplôme en poche, j'ai commencé à travailler dans le monde du cinéma en tant qu'assistante costumière pour des films, des séries télévisées, des publicités, etc. Cela a été mon travail pendant de nombreuses années. C'était amusant, j'ai travaillé sur des projets intéressants pendant quelques mois, puis j'ai pu voyager. Mon premier voyage en solo a eu lieu aux États-Unis. Dès mon arrivée, j'ai acheté un appareil photo et c'est la première fois que j'ai pris des photos. Pendant deux mois, j'ai traversé plusieurs villes, je regardais le paysage changer du haut d'un bus, je dormais tous les jours chez des inconnus. Je pense que cette expérience a été cruciale dans ma vie et ma profession actuelle, car elle m'a appris à entrer dans la vie des gens de manière naturelle. À partir de ce voyage, j'ai commencé à travailler sur mes propres projets documentaires, d'abord audiovisuels, puis je me suis orienté vers la photographie, qui est ce que j’apprécie le plus.
J'ai aussi obtenu un diplôme en photographie documentaire à l'Université de Philosophie de Buenos Aires et participé à plusieurs ateliers photographiques en Argentine et à l'étranger. D’autres occupations ? Eh bien, je suis passionnée par la danse, qui me rend heureuse et est pour moi comme une méditation, le moment où je peux mettre mon cerveau en pause.
P.P : Parle-nous de ton parcours avec la photographie.
N.F : Je viens de rentrer de New York où j'ai participé à un atelier de quatre jours avec 99 photographes du monde entier et des rédacteurs en chef des plus grands médias. C'est sans aucun doute l'expérience la plus enrichissante que j'ai vécue dans ma carrière (et en plus je suis repartie avec un prix). La publication de mon projet personnel “Hierba la sangre” dans National Geographic, qui traite de l'importance de la médecine traditionnelle à Cuba a été une autre des réalisations les plus importantes de cette année. Un autre aspect qui me semble fondamental, ce sont les collectifs. J'ai fait partie de Diversify Photo et de Women Photograph et je pense que construire une communauté est super important. Participer à des ateliers, créer des réseaux avec d'autres collègues, aide beaucoup à se faire connaître. J'ai également été correspondante de l’agence de presse Reuters à Cuba. J'ai travaillé pour le Washington Post, d'abord en prenant des photos pour une mission, puis en proposant un article pour le magazine sur une mère célibataire avec son enfant pendant la pandémie. J'ai également couvert quelques événements pour Getty et Bloomberg.
P.P. : Quels sont les thèmes centraux de ton travail photographique et audiovisuel ?
N.F. : Ce qui m'intéresse avant tout, c'est de créer des liens avec les gens. Écouter des histoires de vie et rencontrer des gens que je n'aurais jamais rencontrés si ce n'était pas pour mon travail. En ce sens, Cuba est très spécial, Cuba vit sur un autre rythme, un autre temps qui n'est pas le rythme rapide qui existe dans les pays disons capitalistes. En ce moment, le thème qui m'intéresse le plus est celui de la migration. Tout mon travail tourne autour de ce sujet parce que je pense que c'est la chose la plus importante qui se passe actuellement, et très triste aussi. Il y a toute une génération qui quitte le pays. Je m'intéresse à la communication des questions sociales par le biais d'histoires personnelles et toujours d'un point de vue intime. J'aime travailler lentement, établir la confiance et faire en sorte que les personnes avec lesquelles je travaille se sentent à l'aise.
P.P. : Comment définirais-tu ton univers photographique ?
N.F. : Je n'aime pas me définir parce que je ne veux pas me cataloguer, mais si je devais choisir, je me considèrerais comme une photographe documentaire. J'aime le fait qu'en ce moment les frontières s'estompent un peu et qu'il y a plus de place pour jouer et mélanger différents univers. Ce n'est plus aussi rigide qu'avant, et dans les projets documentaires, nous pouvons inclure des images mises en scène, plus artistiques ou conceptuelles, il y a plus de liberté, et j'aime ça. Il me semble que ce genre photographique génère plus de dimensions à l'œuvre.
P.P. : Quels sont tes projets photographiques et audiovisuels les plus récents ?
N.F. : Depuis deux ans, je travaille sur la crise migratoire qui touche l'île, une question qui me touche personnellement puisque tous mes amis quittent le pays. J'essaie de raconter l'histoire de ce problème d'une manière différente de celle à laquelle nous sommes habitués. Les chiffres augmentent chaque jour, mais je m'intéresse aux histoires qui se cachent derrière. Le premier projet que j'ai réalisé sur ce thème s'intitule “L'exode de la jeunesse cubaine” (El éxodo de la juventud cubana) et raconte cette histoire à travers la relation de deux meilleurs amis, Maykel, qui a émigré en Russie pendant la pandémie, et Rayko, qui est à Cuba. J'aime beaucoup cette histoire et je n'ai jamais pu la montrer, car lorsqu'elle était sur le point d'être publiée, la guerre en Ukraine a éclaté. Mais bon, ce portfolio m'a ouvert les portes de l'atelier photo à New York, car c’est avec cette histoire que j'ai été sélectionnée.
Je travaille actuellement sur l'impact de la migration sur les enfants dont les parents ont émigré dans d'autres pays et les ont laissés à Cuba aux soins des grands-parents et/ou d'autres parents. Je travaille avec trois familles, cinq enfants et une communauté dans laquelle, avec un projet culturel communautaire appelé Akokan, je donne des ateliers sur la migration à travers l'art pour les enfants du quartier de Los Pocitos, à Marianao. D'autre part, le dernier film que j'ai réalisé, Hierba la sangre, fait actuellement la tournée des festivals du monde entier. Il a déjà été présenté au Brésil, à Trinité-et-Tobago, au Mexique, aux États-Unis et au Danemark.
P.P. : Chez Préludes, nous estimons que les meilleurs accompagnants sont ceux qui habitent un territoire. C’est dans ce sens que nous avons travaillé avec toi sur une proposition de voyage photo. Parle-nous un peu de ces journées que nous allons passer ensemble à La Havane.
N.F. : La culture afro-cubaine est l'une des choses qui m'a le plus attiré depuis que j'ai mis les pieds à Cuba. Ma fascination pour les tambours et les danses Yoruba m'a conduit à faire partie du corps de ballet d'une compagnie de danse folklorique cubaine. Lorsque j'ai décidé que je voulais être derrière la scène et non au-dessus, j'ai transposé cette fascination dans mon travail. Par exemple, l'un des personnages de mon dernier documentaire est un prêtre de la religion Yoruba, qui utilise des plantes médicinales à des fins religieuses et curatives. Dès que j'ai le temps, j'aime assister à une séance de tambour. Les tambours, les chants et les danses sont une injection d'énergie très particulière à cette culture fascinante. Cette quête personnelle que j'entreprends est un peu ce que nous ferons pendant les deux jours que nous passerons ensemble à La Havane. Nous participerons à une cérémonie religieuse dans la maison d'un prêtre Yoruba dans la municipalité de Regla, une région avec une très forte tradition afro-cubaine.
Nous assisterons également à une répétition de l'une des meilleures compagnies de danse folklorique cubaine, Raíces Profundas. La répétition se fera avec de la musique en direct au siège de la compagnie, dans un ancien cinéma de du centre de La Havane. En plus de photographier la pratique, nous aurons du temps pour réaliser des portraits avec les danseurs et les musiciens de la compagnie.
Enfin, nous visiterons le gymnase historique de Boxe Rafael Trejo, une perle cachée. Un lieu chargé de traditions sportives qui, malgré sa petite taille, est le berceau de grands champions. Le lieu, qui porte le nom du premier étudiant martyr contre la dictature de Machado en 1930, a accueilli, à différentes époques, de grandes figures de la boxe cubaine. Dans ce lieu, avant le triomphe de la Révolution, on pratiquait l'haltérophilie, le volley-ball et les combats de boxe professionnelle. Nous pourrons y photographier un entraînement, parler de l'histoire du lieu et réaliser des portraits.