Habana Song, Cuba en noir et blanc sous l'oeil aiguisé de Jean Christophe Béchet
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Ce qui suit est une transcription de la vidéo ci-dessus.
“Cuba n’est pas qu’une île. C’est un symbole politique. C’est aussi une part de notre imaginaire collectif. J’étais allé à Cuba à la fin des années 1990, au moment où les « Balseros » sur leurs radeaux de fortune essayaient d’atteindre Key West, en Floride, juste en face… Vingt ans plus tard, je reviens à La Havane, juste après la mort de Fidel Castro. La ville est en pleine mutation. Je suis hypnotisé par la superbe mélancolie de ce monde figé. Je ne parle pas espagnol, mais je sens vivre et vibrer un pays unique, fier et contestataire, endormi et flamboyant. Tout semble comme avant ou presque. En réalité, à La Havane, tout change, et rien ne bouge. Ou peut-être l’inverse : tout bouge, doucement, et rien ne change, vraiment…”
C’est avec ces mots que Jean-Christophe Béchet, photographe marseillais, nous raconte comment il s’est retrouvé sur plus de 20 ans à arpenter les rues de la ville de La Havane et à photographier la mythique capitale cubaine. De ces nombreux voyages, il en tirera “Habana Song”, une ballade havanaise que nous allons explorer ensemble.
Naviguant entre les époques, mais aussi entre l’argentique et le numérique, l’auteur dresse le portrait d’une Havane grisée, souvent solitaire, parfois mélancolique, loin des clichés haut en couleur de l’imaginaire qui est le nôtre. Attentif à la façon dont la vie circule entre les bâtiments, le photographe flirte constamment avec un style documentaire où la poésie n’est jamais loin, entre photographie de rue et architecture.
Le style de l’auteur se dévoile dans cet ouvrage de grande qualité sorti en 2019 chez les Editions Loco. Les images, souvent contrastées, sont mises en valeur par le papier, d’un grammage conséquent. Les clichés jouent avec les icônes havanaises comme pour mieux s’éloigner du folklore : les voitures américaines devenues taxis pour touristes côtoient ainsi de vieux bâtiments tout juste rénovés d’entre lesquels apparaissent des hôtels et des bars de luxe, témoins d’une transformation phénoménale de la vieille ville en théâtre capitaliste.
Un paysage habité
On pourrait dire que Jean-Christophe Béchet est un auteur qui s’intéresse davantage au style qu’au thème dans sa pratique photographique. Cependant, il reste important de noter que le concept de territoire, pensé ici comme thématique photo, semble comme s’échapper de l’ensemble de son œuvre, et plus particulièrement ici de cet ouvrage.
Le photographe, en effet, aime utiliser ses images pour faire le récit de certains lieux qui l’intéressent, a priori pour une raison purement visuelle, mais aussi pour la symbolique et les dynamiques à l’œuvre. Nous ne sommes pas ici face à des images qui tendraient à seulement montrer le paysage urbain, mais bien en présence de clichés qui évoquent la vie quotidienne, en parsemant le cadre d’indices invitant le lecteur à se questionner, sur les nombreuses contradictions de la société cubaine.
Dans chaque lieu, chaque espace, à travers son regard, éminemment subjectif, il crée une histoire, une carte des questions possibles : quelle est l'identité de ce lieu ? qu'est-ce qui le rend unique ? qu'est-ce que le passage du temps lui a fait subir ? La culture, l'histoire et la politique ne sont pas en reste dans ce réseau complexe de territoires, dans lequel l'auteur trouve la matière première pour créer et déployer sa vision du monde.
Celle d’une ville éloignée des poncifs et des clichés, d’une lecture rapide. Le soleil est ici très présent mais la lumière se reflète en nuances de gris, dense, et légère à la fois. Une Havane en noir et blanc, qui semble comme s’imposer au regard du photographe.
Un sonate mélancolique
Jean-Christophe Béchet nous emmène dans "sa Havane", poétique et mélancolique. Dès le début de sa narration, il nous emmène de la surface vers l'intérieur, nous montrant le quotidien d'une ville presque sans habitants, sans touristes, sans couleurs, ouvrant les portes des maisons et des immeubles, sauvant les ombres, les silhouettes, mettant en valeur les textures.
Le rythme est fluide, calme. La lecture se fait de manière naturelle grâce notamment à la mise en page qui permet d’apprécier chaque photo pour elle-même, mais également en relation avec celle qui parfois, lui fait face, ou qui au contraire, lui tourne le dos.
Quelques pages blanches viennent également parsemer l’ouvrage, comme autant de respirations bienvenues, comme si l’auteur nous prenait par la main, nous invitant à prendre le temps, à ralentir. Une invitation qui se répète à mesure que l’on tourne les pages, comme lorsqu'on tourne au coin des rues de la Havane.
Edificio Girón
Une curiosité que j’aimerais relever, c’est cette série présente au cœur du livre. Paré de jaune, “Edificio Girón”, c’est son nom, est un travail à part qui s’inscrit parfaitement dans la narration globale de l’ouvrage.
Prenant comme sujet ce bâtiment unique à l’architecture brutaliste situé face au célèbre Malecón, Jean-Christophe Béchet en fait un symbole de La Havane, une ville étrange corrodée par le temps mais toujours bien vivante, et se permet par la même occasion de se rapprocher davantage de ses habitants.
Matérialité, composition et émotion
Il y a maintenant trois choses que j’aimerais partager avec vous, qui sont pour moi de grands paradigmes à travers lesquels nous pouvons apprendre de l’auteur en général et de ce livre en particulier, que sont la matérialité, la composition et l’émotion.
La matérialité tout d’abord, une notion très importante chez Béchet, qui semble surpasser la dichotomie numérique-argentique dans ses travaux. On peut voir qu’en contrastant énormément ses clichés, il révèle la superficie de ses images, comme des objets où la chimie est à l’œuvre. À l’image de cette double page dans laquelle le soleil paraît brûler littéralement la photographie. En voilà une autre où un bout de photo est disposé au-dessus d’une autre, ou encore celle-ci dans laquelle le grain est un élément de composition à part entière. Cette influence de l’expérience argentique est constante chez Béchet, lui qui a par ailleurs réalisé des projets autour de l’erreur et des accidents techniques.
La composition ensuite. Béchet a, à n’en pas douter, un regard complexe, attentif. Chez lui, les jeux de miroirs, de reflets, de lignes et de textures, trompent l'œil en même temps qu’ils l’aiguisent. Tout au long du livre, l’auteur se laisse guider par l’appréciation des formes, et non pas seulement par une situation. Cela est probablement dû en partie à son choix pour le noir et blanc, révélant ainsi un intérêt certain pour ce que j’appelle la géométrie visuelle, que l’on retrouve par ailleurs pour son goût prononcé pour la photographie d’architecture.
L'émotion, enfin. Paysages silencieux, errance. Beaucoup de photos sont mélancoliques, solitaires. On y perçoit le reflet d’une ville mais également celui de l’état d’esprit du photographe. Ce qui est très intéressant est qu’avant toute chose c’est son regard qui ressort, et c’est d’ailleurs peut-être l’un des aspects ayant le plus de valeur dans cette œuvre à coup sûr “crépusculaire”, selon les propres mots de l’auteur, et de laquelle se dégage un parfum de fin du monde, ou du moins d’un monde, mais également le début d’un autre.
D’autres images nous transportent davantage depuis la symbolique, et les choix du photographes - de composer par exemple avec un sujet ou de le montrer dans l’ombre, ou presque en dehors du cadre– renforcent cette idée d’incertitude, de flou, comme autant de paysages habités qui nous sont donnés de voir, de sentir, mais en partie seulement.
Une histoire de voitures
Avant de terminer, je voudrais, parmi les nombreuses images évocatrices du livre, que nous jetions un œil attentif à celle-ci.
Au-delà du pur symbole porté par cette voiture voilée, c’est un cliché qui nous renvoie à une influence possible sur le travail de Béchet, à savoir une photographie similaire appartenant au classique de Robert Frank, “Les Américains”, une image de voiture elle aussi, mais prise en Californie. C’est toujours intéressant de relever ces liens entre les travaux et ce pouvoir que la photographie détient de créer des espèces de connexions chez le lecteur, entre des époques et des lieux.
Conclusion
En guise de conclusion, je souhaiterais souligner l'enseignement fondamental que nous pouvons retirer de cet ouvrage. À savoir, l'importance de développer son propre point de vue et sa propre voix, permettant ainsi de se démarquer. Jean-Christophe Béchet partage ici son rapport singulier avec l'environnement, et c'est précisément ce qui le distingue.
Sa capacité à exprimer la mélancolie et l'intemporalité à travers le choix du noir et blanc, est tout aussi remarquable que son art du cadrage, qui nous plonge dans une sorte de solitude contemplative. De même, le choix de ses sujets et l’emploi récurrent aux textures révèlent ses nombreuses contradictions, offrant ainsi des indices sur la manière de traduire en images les sensations et émotions générées par notre propre expérience de la photographie.
Enfin, je voudrais conclure en évoquant nos voyages photo à Cuba, une expérience enrichissante où la passion de la photographie s'unit à la découverte d'une culture vibrante. Ces voyages sont une opportunité unique d'explorer de nouveaux horizons, d'élargir notre perspective artistique et de créer des souvenirs inoubliables à travers le viseur de notre appareil photo. Si vous êtes passionné par la photographie et que vous souhaitez vivre une aventure visuelle exceptionnelle, n'hésitez pas à vous joindre à nous lors de notre prochaine escapade à Cuba. Merci à tous pour cette exploration captivante, et au plaisir de vous retrouver lors de nos futurs périples photographiques. Au revoir !