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Embrassez vos erreurs : pourquoi c’est important de faire de mauvaises photographies


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“C’est important de faire de mauvaises photographies.” Voilà ce que déclarait la célèbre photographe Diane Arbus, célèbre pour ses portraits poignants de personnes marginalisées, et qui embrassait les erreurs comme partie intégrante de son processus artistique. Les erreurs en photographie sont ainsi essentielles. La perfection n’existe pas. Point. Et plus vite vous vous ferez à cette idée et plus vite vous apprendrez à embrasser vos erreurs, vous permettant ainsi de progresser en tant que photographe. Chaque erreur est une opportunité d'apprentissage, une chance de découvrir quelque chose de nouveau et d'améliorer votre technique.

Chaque erreur est une chance de découvrir quelque chose de nouveau

Mais pourquoi diable les erreurs seraient-elles essentielles au développement de l’expression créative ? Internet ne fourmille-t-il pas d’articles et de vidéos énumérant les erreurs à ne surtout pas commettre si vous voulez devenir meilleur photographe ? C’est pourtant en tirant parti de vos échecs que vous apprendrez, car comme l’affirme le philosophe italien Massimo Donà « nous pouvons grandir et nous améliorer grâce aux erreurs que nous commettons. Elles nous aideront à voir les faits et les situations sous un angle différent et nous permettront d’affiner ou de modifier nos idées. L’histoire de la connaissance humaine n’est qu’une série ininterrompue d’erreurs rectifiées. »

Grand prix de Jacques-Henri Lartigue, 1913

À l’image d’une Diane Arbus, nombreux sont les photographes et les artistes qui se sont appropriés ce concept d’erreur à travers l’histoire du medium. Prenons l'exemple de la célèbre photographie de la voiture de course par Jacques-Henri Lartigue (1894-1986) en 1913. Cette image, prise par accident alors qu'il tentait de capturer la vitesse, est devenue une icône de la photographie grâce à son effet de flou non prévu. Pourtant ce n’était pas gagné. Au départ, cette photographie est considérée comme « ratée » par le photographe qui la met de côté. Quarante ans plus tard, il y trouve un intérêt pour les mêmes raisons qui l'avaient conduit à l'écarter : « Les insuccès sont tout à fait naturels. Ils sont une bonne leçon. C’est pourquoi il faut aussi conserver les photographies peu satisfaisantes car dans trois, cinq ou dix ans on y découvrira peut-être quelque chose de ce qu’on avait éprouvé jadis ». L'image deviendra un symbole de la modernité, puis une icône lorsqu'elle sera choisie, en 1999, parmi les cent plus belles photos du XXe siècle.

Solarized portrait of Lee Miller, 1929 - Man Ray

Dans les années 1920, sous l'influence du surréalisme naissant, des artistes comme Man Ray ont commencé à utiliser délibérément des erreurs photographiques comme moyen d'expression. Leurs œuvres, marquées par des techniques telles que la solarisation et les rayogrammes, démontrent comment les erreurs peuvent ouvrir de nouvelles voies créatives. D’autres, comme Lisette Model dans les années 40, s’approprient certains éléments visuels comme le reflet, jusque là considéré comme une erreur, et en font une partie de leur panoplie de propositions esthétiques, en faisant dès lors une référence visuelle de la photographie d'avant-garde.

Lisette Model, First-Reflection, New-York, vers 1939-1940

Le rejet de la perfection

Les erreurs photographiques partagent une ambivalence entre résultat positif et négatif. Clément Chéroux, dans son livre "Fautographie" (2003), explore comment les erreurs peuvent être à la fois des échecs et des réussites, selon le contexte et l'interprétation. Cette dualité montre que le hasard en photographie peut être heureux ou malheureux. Il est par ailleurs intéressant de noter comme le mot “erreur” a un sens étymologique particulier. Les mots “erreur” et “errer” dérivent en effet tous deux du latin « erro » qui signifie précisément à la fois errer et se tromper. En latin, erreur signifiait aussi "voyage", et prit par la suite une déclinaison moralisatrice comme « déviation du droit chemin ».

Nous l’avons déjà dit ; la perfection n'existe pas, et il ne faut pas nécessairement la rechercher. Plutôt que de se concentrer uniquement sur le résultat final, nous devrions apprécier le processus photographique. Cette approche nous invite à ressentir la gratitude de pouvoir témoigner du monde autour de nous, même à travers des erreurs.

Vous trouverez sur les réseaux sociaux quantité de vidéos et d'articles prônant une certaine vision de la perfection en photographie. Faisons donc le chemin inverse, en mettant en avant le pouvoir libérateur de l'erreur. Il ne s'agit pas de glorifier l'erreur pour l'erreur, mais de valoriser cette action simple de sauver ce qui semble raté. Les erreurs nous libèrent en nous permettant de découvrir de nouvelles perspectives et d'enrichir notre créativité. Par ailleurs, en cherchant délibérément l'erreur, comme photographier à contre-jour, louper sa mise au point, surexposer ou sous-exposer, ou encore cadrer de manière non conventionnelle, les photographes peuvent transformer leurs échecs en opportunités créatives nourricières. Cette volonté de s’inscrire dans une esthétique de l’erreur, démarche consciente où l'artiste manipule délibérément les éléments techniques ou visuels de l'image pour explorer de nouvelles esthétiques et significations s’est étendue jusqu’à nos jours, comme le démontrent par exemple des artistes comme Sara Cwynar ou John Gossage.

Sara Cwynar, Girl from Contact Sheet (Darkroom Manual), 2013

John Gossage, Hyattsville, Maryland, issu de la série “A Dozen Failures”, 2016

Cela peut inclure des techniques comme le glitch art, où des dysfonctionnements numériques sont utilisés pour créer des images déstructurées et chaotiques, ou des procédés analogiques expérimentaux comme la solarisation ou la double exposition. Ces techniques de mise en scène visent à déconstruire les normes de la représentation, et à leur manière remettent en cause une certaine esthétique de la perfection, traversée par de paramètres idéologiques mainstream. Leur travail montre comment l'erreur volontaire peut être utilisée non seulement pour défier les conventions visuelles, mais aussi pour interroger les limites de la photographie en tant que medium artistique.

L'ouvrage "Parfaites imperfections" d'Erik Kessels '(2016) célèbre à sa manière cette idée. L’auteur met en avant les imperfections comme une forme d'art, une éloge du pas de côté dans le cadre d’une ère numérique où il est si facile de gommer les imperfections. Il est ainsi crucial de préserver l'authenticité de nos images. Mais une erreur est-elle vraiment une erreur lorsqu'elle est créée délibérément par le photographe ? Il n'y a pas de réponse simple à cette question.



L’erreur surprise

Une autre réponse à cette ère de la perfection numérique peut également résider dans l'exploration de la photographie argentique, qui fait depuis quelques années un retour en force, notamment chez les jeunes générations. L'argentique, avec ses limitations et ses imperfections inhérentes, offre une connexion plus tangible avec le processus photographique. L'erreur surprise qui découle de son utilisation peut poser des problèmes simples, car ce qui a été supposément fait n'existe pas. L'image censée être capturée est perdue. À sa place, il y a quelque chose d'autre, pas rien, mais un changement. Mais c’est précisément celui-ci qu’il faut à son tour embrasser.

Un exemple personnel, j'ai hérité de mon grand-père il y a quelques années d'un Zénith EM, un appareil de fabrication soviétique. Cet appareil a ses défauts, mais en argentique, l'erreur est toujours proche et peut finalement réserver des surprises intéressantes.

C'est aussi dans cette idée que chez Préludes, nous utilisons depuis un certain temps déjà en voyage un appareil photo instantané, un Fujifilm Instax Mini qui ne permet aucun contrôle manuel de l'exposition (voir les images ci-dessous prises lors d’un voyage à Naples). Les images produites sont inédites, uniques, et possèdent automatiquement une certaine "valeur" que ne possèdent pas a priori vos images numériques.

Mais ces erreurs “surprises” ne sont pas le seul fait de la photographe argentique ou instantanée. Prenez un exemple concret, celui des photos dégradées de Christine Pulinato, que j’ai découvertes sur instagram en rédigeant cet article. Armée d’un Leica Q2 qui revenait du service après-vente, la photographe est partie à Naples : “À ma grande stupeur, à peine après avoir effectué deux clichés, voilà que la panne pour laquelle mon Leica avait été envoyé en SAV reprend de plus belle! Je me suis sentie complètement désemparée et furieuse de me retrouver dans le sud de l'Italie avec du matériel plus défectueux qu'auparavant!!”. Avec du recul, elle a décidé de garder ces photos "dégradées" sans aucune retouche, sauf un léger recadrage et d'en publier une série, finalement très intrigante, inattendue.

C’est dans la continuation de cette idée que nous organisons un stage photo à l’automne dans les Cévennes, où l'erreur photographique sera l'un des principaux thèmes abordés, en parallèle de la pratique du noir et blanc. Ce stage offrira aux participants l'opportunité de confronter leurs erreurs tout en explorant les magnifiques paysages des Cévennes. Nous apprendrons également de certains grands photographes ou grands courants qui ont su mettre se saisir de cette idée de l’erreur, on pense notamment au mouvement Provoke au Japon, qui s’appuyait sur les principes de l’are-bure-boke : des images floues, granuleuses et hors sujet.

Daido Moriyama, issu de 'Farewell to Photography', 1972

Conclusion

Des images surexposées, floues, sous-exposées, une émulsion rayée, fondue, un cadrage qui coupe une tête…l’activité créatrice de la photographie est ainsi unique en ce qu’elle est une fusion complexe de l’action humaine et des processus technologiques. Dans ce contexte d’efforts combinés, l’erreur photographique offre une manière différente de voir le monde.

Les erreurs en photographie sont des étapes cruciales vers une meilleure compréhension de soi-même et de son art. Elles nous aident à développer notre résilience, à améliorer nos compétences techniques et à libérer notre créativité. En embrassant nos erreurs et en les voyant comme des opportunités, nous pouvons transformer chaque échec en une chance de grandir et d'innover. Alors, la prochaine fois que vous ferez une mauvaise photographie, rappelez-vous les mots de Diane Arbus et voyez cela comme une étape précieuse de votre parcours artistique.



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