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Communes, essai photographique unique de Raymond Depardon


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Ce qui suit est une transcription de la vidéo ci-dessus.

Manifestations contre le projet d'extraction du gaz de schiste

“J’ai découvert au printemps 2020 la liste du “permis de Nant” répertoriant les 280 villages français destinés à être exploités pour l’extraction du gaz de schiste par une société pétrolière texane. Suite à une très forte mobilisation des habitants de ces territoires où vivent 500 000 personnes, le projet fut arrêté par décision de justice en décembre 2015. Au cours de l’été 2020, intrigué, je suis parti photographier ces villages avec ma chambre, au hasard des lumières et de l’architecture particulière de ces maisons de l’Occitanie.”

© Raymond Depardon, Communes - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

© Raymond Depardon, Communes - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

C’est ainsi que s’ouvre Communes, de Raymond Depardon, un recueil de 80 photographies prises par le photographe français dans l’arrière-pays méditerranéen que nous allons explorer ensemble aujourd’hui.

© Raymond Depardon, Communes - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

Reconnu pour son engagement envers les territoires ruraux et les enjeux sociaux, le photographe, né en 1942, démontre une fois de plus, que, malgré le passage des années, il demeure un créateur d'images singulier dans le champ de la photographie contemporaine. Dans cet ouvrage se déroulant au sud du Massif Central, à travers des départements tels que l'Aveyron, la Lozère, le Gard et l'Hérault, l'approche de Raymond Depardon se distingue par une authentique empathie envers les lieux explorés. Si sa vision, devenue profondément contemplative et contrastant définitivement avec son passé en tant que reporter, s'est résolument éloignée de l’agitation sociale et politique, il n’en demeure pas moins que son regard continue d’interroger. Inscrite dans la lignée directe de certaines thématiques qui ne cessent de le passionner, cette évolution laisse la part belle à une esthétique encore plus épurée qu’à l’accoutumée, rappelant par certains moments l’art sculptural. Le photographe semble avoir accordé du temps au temps, afin de se concentrer pleinement sur la représentation formelle des territoires qu’il explore.

J’ai toujours senti que parmi les trois temps, avenir, présent et passé, le pire pour moi est le présent. Bizarre pour un photographe.

Pour replacer ces photos dans leur contexte, il convient de souligner qu’elles ont été prises à l’issue du premier confinement, dérivant de l’épidémie de Covid. À cette période, émerge dans l’actualité le thème d'un "repeuplement" des campagnes, comme une sorte d’exode urbain post-pandémique. C’est dans ces circonstances que le photographe décide, une fois de plus, de tourner son regard vers cette ruralité si chère à son cœur, soucieux de s’éloigner d’une représentation pittoresque et nostalgique de ces territoires.

© Raymond Depardon, Communes - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

© Raymond Depardon, Communes - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

Les clichés capturés par Depardon témoignent eux de l'évolution temporelle des villages, des lieux qui, derrière l’apparence immuable des bâtisses en pierre, résistent à la solitude. Ces villages, bien que figés en apparence, vivent une dynamique qui leur est propre. Ils se tiennent comme la première ligne de résistance face aux menaces pesant sur des secteurs cruciaux tels que la production artisanale, l'élevage, ainsi que sur des ressources naturelles comme la terre et l'eau, donc des thématiques bien plus modernes qu’il n’y paraît au premier regard, et qui incluent naturellement la question délicate de l’exploitation du gaz de schiste.

© Raymond Depardon, Communes - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

Chacune des 80 images réunies dans l’ouvrage donne l’impression d’avoir été prise avec une délibération méticuleuse, révélant la maîtrise artistique de Depardon. Ici, le paysage devient portrait. Les sites choisis n’ont rien de spectaculaire, ils sont les visages d’un territoire ordinaire. Son approche attentive permet au lecteur de s'immerger pleinement dans ces paysages de l'Occitanie, de ressentir la fraîcheur de l'ombre des ruelles étroites ou bien encore d'entendre le murmure du vent à travers les branches des arbres centenaires.

Le grand format, technique utilisée par l’auteur, renforce cette esthétique du statique, de l'immémoriel. Les images en noir et blanc capturent les architectures des villages avec des jeux angulaires d'ombres et de lumière, soulignant ainsi leur beauté particulière. Depardon est un photographe qui change d’appareil selon les projets qu’il développe. Ici, il fait le choix de photos verticales prises à la chambre 20x25, presque carrées, mais encore pourvues d’un haut et d’un bas, lui permettant de jouer sur le ciel ou sur le sol mais également de renforcer les vertus abstractives des bâtiments, tout en disposant d’une netteté incomparable. Cette façon de photographier a un rapport direct avec l’aura contemplative qui se dégage de toute la série.

© Raymond Depardon, Communes - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

Extrait de "Communes" de Raymond Depardon - Fondation Cartier pour l'art contemporain

Il faut s’imaginer Depardon se déplacer dans ces villages du sud de la France avec cet appareil sur le dos en plein été, l’obligeant à s'arrêter un bon moment devant ce qu'il veut photographier. Cette manière analogique de concevoir une image l’oblige à réfléchir à chaque prise de vue, contrairement au monde numérique où l'on peut shooter à l'infini. La chambre grand format, par son poids et sa taille, mais aussi par le trépied qui la supporte, oblige le photographe à s’immerger dans un rituel bien à lui, non dénué de réflexion. Ici, il n'y a pas de photos volées ou prises au hasard. Avant de prendre sa photo, il lui faut penser au cadrage, préparer sa configuration, mesurer au préalable la lumière avec le posemètre pour savoir quelle ouverture et quelle vitesse utiliser. Il lui faut aussi bouger le soufflet pour voir l'angle, mettre en place la pellicule dans le bon sens et enfin, prendre la photo.

Les gens ont peur du vide. Alors que ce n'est pas du tout ennuyeux de voir une photo vide. Je trouve que c'est une façon très forte de voir la présence de l'être humain.”

© Raymond Depardon, Communes - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

© Raymond Depardon, Communes - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

Au-delà de la simple représentation de ces paysages pittoresques, Communes devient un hommage à la résilience humaine face aux défis modernes. Les photographies incitent à la réflexion sur la valeur de l’ancrage culturel et de la préservation de modes de vie davantage en adéquation avec l’environnement, dans un monde toujours plus urbain et en perpétuel changement. Bien qu’à première vue les photographies paraissent désertes, Depardon révèle subtilement la présence humaine qui persiste dans ces lieux de vie. En réalité, même si les compositions ne présentent pas de personnages ou si l'auteur évite les portraits, des indices tels qu'un drap séchant à la fenêtre ou un scooter abandonné témoignent à leur façon du quotidien discret des habitants. 

C'est un aspect qu'il convient de souligner dans cette œuvre, où réside le pouvoir de la suggestion, cette capacité à nous faire comprendre qu'une réalité existe sans avoir à la montrer explicitement. Dans ces vues frontales, intégrales, le photographe semble par ailleurs réduire son intervention compositionnelle à presque rien, si ce n’est à la seule captation de cette lumière singulière du Midi, qui écrase ces villages. Nous proposant des scènes dépouillées, il crée un espace que nous sommes invités à compléter par notre propre interprétation et notre imagination.



Ainsi se déploie sous nos yeux le résultat d'une évolution progressive du regard d’un auteur à la très longue carrière, dont il convient ici de rappeler quelques moments essentiels. C’est que dans la vie même de Raymond Depardon se dessine une histoire profondément ancrée dans les paysages ruraux qu'il immortalise. Observateur attentif des campagnes françaises, il y a réalisé de nombreux reportages. Il a aussi publié plusieurs ouvrages entièrement consacrés à la ruralité et à ses habitants. On pense notamment à son œuvre majuscule “Rural”, réalisée dans de petites exploitations agricoles, mais aussi à travers certains de ses documentaires comme la trilogie “Profils paysans”.

© Raymond Depardon, extrait de “Profils Paysans, chapitre 3 : La Vie Moderne”

© Raymond Depardon, Rural - Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain

Ces thèmes, qui l’attirent et d’une certaine manière le constituent, il les doit à son histoire personnelle. Lui le fils de paysans né à Villefranche-sur-Saône, ayant grandi dans la ferme familiale du Garet, qui en même temps qu'évoluait le paysage rural, assistait à la lente transformation du monde paysan et en quelque sorte à la disparition d'un certain mode de vie.

© Raymond Depardon, La Ferme du Garet - Actes Sud

“L'errance n'est ni le voyage ni la promenade mais cette expérience du monde qui renvoie à une question essentielle : qu'est-ce que je fais là ? Comment vivre le plus longtemps possible dans le présent, c'est-à-dire être heureux ?”

Nul doute que cette trace dans son histoire personnelle l’a grandement influencé dans sa pratique et ses intérêts photographiques, et ce jusqu’à aujourd’hui. Raymond Depardon a en effet commencé sa carrière de photojournaliste très tôt. En tant que jeune homme originaire de la campagne, il a vécu une jeunesse pleine de défis et de contrastes lors de son installation à Paris. Son attachement au monde rural, qu’il exprimera plus tard, semble naturellement découler de ses racines, étroitement ancrées depuis son enfance et au sein de sa famille.

En tant qu'auteur d'une œuvre considérable, à la fois photojournaliste et cinéaste, il a par ailleurs au fil des années développé une vision singulière de la photographie, qui a notamment pris corps dans “Errance”, ouvrage paru en l’an 2000. Dans ce projet mariant l’image et le mot, Depardon, à travers sa volonté de photographier des “non-sujets”, traite de la solitude et de la difficulté à se trouver soi-même. 

© Raymond Depardon, Errance - Points

Aboutissement d'une démarche amorcée vingt ans plus tôt avec sa célèbre "Correspondance New-Yorkaise", “Errance” semble à la fois marquer son apogée et annoncer une nouvelle quête à venir. Celle d’un auteur s'éloignant presque définitivement d'une approche strictement photojournalistique pour s'engager dans une exploration personnelle et photographique qui le distingueront toujours davantage. 

© Raymond Depardon, Errance - Points

À l'époque, il exprime : "J'ai le pressentiment que quelque chose ne sera plus comme avant. C'est peut-être là la vraie définition de l'errance, de sa quête, avec sa solitude et sa peur. C'est le désir que je cherchais, la pureté, la remise en cause, pour aller plus loin, au centre des choses, pour faire le vide autour de moi.

Conclusion

Ce sont ces réflexions sur sa pratique qui influenceront naturellement ses projets futurs, jusqu’à ce "Communes”, qui loin de se réduire à une simple compilation de quelques images de paysages, se révèle être un essai photographique d’une grande richesse, le manifeste d’un auteur majeur qui offre un regard contemplatif sur ces villages préservés, tout en retenue. Celui de quelqu’un qui passe mais ne s’approprie pas, celui de quelqu’un qui partage, qui ne reste pas longtemps, et celui de quelqu’un qui, comme il le dit si bien lui-même, souhaite vivre le plus longtemps possible dans le présent.

Voici ce que je voulais vous faire découvrir avec ce livre du grand Raymond Depardon. Ce que l’on peut apprendre de ses photos, en termes de composition ou de techniques, mais également ce qui se cache derrière l’évidence. J’espère que vous aurez apprécié cette vidéo. N’hésitez pas à commenter, partager, ou à laisser des suggestions de livres que vous aimeriez que nous traitions à l’avenir chez Préludes. En attendant, je vous dis à la prochaine !



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