Apprendre avec #7 | Mario Giacomelli
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Mario Giacomelli (1925-2000) est un cas à part. Il demeure l'un des photographes les plus influents du 20ᵉ siècle. Son œuvre, marquée par une exploration audacieuse de l'abstraction, du contraste et de l'émotion humaine, continue d'inspirer et d'enseigner aux générations de photographes à venir. Dans ce nouvel article de ”Apprendre avec”, nous allons évoquer cinq leçons pouvant être tirées de l'approche distinctive du photographe italien, examinant comment sa vision artistique unique transcende les limites du temps pour capturer l'essence même de l'humanité et de la nature à travers son objectif.
1. …ARRIVEZ À POINT
Mario Giacomelli, originaire de Senigallia dans les Marches, a forgé son héritage photographique unique dans sa ville natale de manière tardive. Issu d'une famille modeste, rien ne le destinait à embrasser la photographie. Après des débuts dans une imprimerie à l’adolescence, il s'est découvert une passion pour la peinture en autodidacte, préfigurant son futur talent photographique. Ce n'est qu'à l'âge de 29 ans, en 1954, qu'il a acquis son premier appareil photo, entamant ainsi un voyage exceptionnel dans le monde de la photographie.
À l'image de Giacomelli, il peut s'écouler un certain nombre d'années avant de trouver notre passion. Pour certains, la photographie est un talent inné, peut-être transmis par un parent ; pour d'autres, elle vient plus tard dans la vie. L'essentiel est de reconnaître cet intérêt en tant que tel et de saisir l'opportunité de développer pleinement son potentiel.
2. CULTIVEZ LA COHÉRENCE
“Après tout, la photographie, c'est comme l'écriture : le paysage est plein de signes, de symboles, de blessures, de choses cachées. C'est une langue inconnue qu'on commence à lire, à connaître, dès qu'on commence à l'aimer, à la photographier.”
- Mario Giacomelli
Dès son adolescence, Giacomelli était captivé par le pouvoir évocateur du signe : l'empreinte des matériaux sur le papier, la manifestation tangible sur la toile, la trace du fer tissé, et l'empreinte du temps qui passe. Malgré la diversité immense de son œuvre, une cohérence émerge clairement.
Son style visuel hautement personnel et artistiquement atmosphérique témoigne d'une préoccupation de toute une vie pour les paysages mettant en avant des motifs linéaires et abstraits, les paysages ruraux, les scènes de rue et les portraits de la vie quotidienne italienne. D'une image à l'autre, d'une époque à une autre, ses sujets variés, allant de la terre aride à la vie des gens modestes, sont unis par une préoccupation et une quête graphique et plastique partagées. Ils capturent non seulement la sécheresse de la terre, mais aussi celle de la vie des individus moins fortunés.
Il a envisagé la photographie comme un nouveau langage, structuré comme un cycle éternel de retour. Cette cohérence thématique et esthétique tout au long de sa vie confère une force immense à son œuvre, lui permettant de transmettre des émotions et des réflexions universelles. En cultivant la cohérence dans votre propre travail artistique, vous pouvez établir une connexion plus forte avec vous-même et votre public, et donner une dimension supplémentaire à votre expression artistique.
3. ASSUMEZ VOS INFLUENCES
Mario Giacomelli n’était pas simplement un photographe ; il était un artiste dont les inspirations et les intérêts dépassaient largement le monde de la photographie. Bien que cette fusion d'influences se soit exprimée tout au long de sa carrière, c'est une série méconnue, profondément autobiographique, qui met en lumière le talent de Giacomelli à réunir différents médiums. Inspirée librement d'un des poèmes de "Spoon River Anthology", une œuvre majeure du post-romantisme américain signée Edgar Lee Masters, cette série intitulée “Carolina Branson da Spoon River” révèle l'habileté de Giacomelli à tisser des récits poétiques à travers l'objectif de son appareil.
Dans cette série, Giacomelli déploie tout son talent artistique pour dresser une fresque poétique, fascinante et parfois sombre, mettant en scène deux jeunes amants qu'il a rencontrés en 1968 dans les environs de Senigallia : Leonardo et Mara. À travers cette série, Giacomelli révèle son profond intérêt pour la littérature et n'hésite pas à se livrer à travers le récit de ces amoureux, en utilisant des techniques artistiques telles que les surimpressions, les superpositions et les distorsions étranges.
Cette approche unique fusionne la photographie et la narration littéraire, mettant en avant la subjectivité de l'artiste plutôt que l'objectivité pure de l'image. Avec cette série, Giacomelli illustre l'idée d'un fil narratif, d'une séquence d'images liées entre elles, sans nécessité d'un instant décisif, comme si l'ensemble formait une longue phrase chantée par le photographe. Comme chacun d'entre nous, il est le produit d'une multitude d'influences variées, totalement assumées dans sa pratique artistique.
4. EMBRASSEZ LE CONTRASTE
Mario Giacomelli nous enseigne l'importance d'embrasser le contraste dans notre travail artistique. Dans l’une de ses séries les plus emblématiques, au sein d’une communauté de séminaristes de Scanno, il saisit l’insouciance de ses jeunes prêtres, mettant en lumière le contraste entre la spiritualité et la réalité quotidienne, offrant ainsi un regard profond sur la dualité humaine.
La façon dont il manipule le monochrome est remarquable, notamment dans ses photographies de paysages, striés de cicatrices. Giacomelli n'hésitait pas à pousser les limites, créant des noirs extrêmement profonds et des blancs éclatants. En post-production, il retravaillait intensément ses images, cherchant à transmettre une vision authentique, brute (mais pas forcément brutale), parfois à la limite de l’abstraction, où seuls de petits détails demeurent indéfinis après l'exposition.
Dans l’esprit graphique des estampes, à la rupture entre les noirs et les blancs, Giacomelli considérait le négatif comme une toile à sculpter en chambre noire, révélant ainsi son souci du détail et sa vision complexe, allant bien au-delà de la simple prise de vue. En explorant les contrastes dans votre propre travail artistique, vous pourriez découvrir de nouvelles dimensions dans votre travail et créer des œuvres d'une puissance captivante, tout en suscitant des réflexions profondes sur la condition humaine.
5. OUBLIEZ LA VÉRITÉ
Les photographies de Giacomelli ne se contentent pas de représenter objectivement la réalité. Elles incarnent plutôt une poésie profondément personnelle, où la subjectivité de l'artiste transparaît dans chaque image. Elles ne visent pas à saisir une vérité objective (est-ce seulement possible ?), mais vont bien au-delà de ce qu'elles montrent.
Elles servent à la fois de passerelle vers les pensées les plus intimes du photographe, vers son monde intérieur, et à une fenêtre ouverte sur notre propre imagination en tant que spectateur. À la manière de Mario Giacomelli, cherchez avec la photographier à capturer quelque chose de plus profond, quelque chose qui va au-delà de la simple représentation visuelle. Ne cherchez pas la vérité, mais les vérités, multiples et subjectives, qui échappent à d’autres techniques.
BONUS : ANALYSE D’UNE IMAGE
Parmi les images les plus mémorables de Mario Giacomelli figurent celles des "pretini" (jeunes prêtres) dans le séminaire de Senigallia que nous avons déjà évoquées. Il les captura en train de jouer dans la neige ou de se détendre dans la cour.
Sur cette image en particulier, l’une des plus fortes de la série, il juxtapose les formes distinctives des figures vêtues de noir (cette fois-ci, des séminaristes en soutane) sur un sol blanc (des paysages enneigés ou baignés de soleil), suggérant une ambiance assez légère. Alors qu’initialement dans les premiers tirages des années 1960, cet effet n'était pas aussi prononcé, permettant aux traces d'herbe ou de pavé d'apparaître derrière les silhouettes noires des séminaristes, l'impression à la main choisie par la suite par Giacomelli a pour effet d'augmenter le contraste. Le blanc est immaculé, de telle sorte que nous pourrions le repeindre et ne laisser que les silhouettes s’en réchapper sans changer profondément le sens de l’image.
Les sujets sont placés dans un espace irréel, presque comme suspendus dans les airs. Ce qui est frappant ici est l'extraordinaire effet visuel produit par le mouvement des jeunes hommes. Le sentiment de mouvement est accentué par la vitesse d'obturation lente, ce qui produit une image légèrement floue. Mise en valeur par la composition et les différentes dynamiques à l’œuvre, l’émotion transparâit. La multitude de personnages en communion avec leurs pairs ou avec eux-mêmes renforce les mouvements internes de l’image.
Bien qu'elle semble avoir été orchestrée, la scène exhale une jovialité débridée des prêtres alors qu'ils courent, formant une ronde. Giacomelli laisse la scène se dérouler sous nos yeux, probablement depuis le toit d’un bâtiment, capturant ainsi l'authenticité et la spontanéité du moment. Cependant, il ne faut pas se méprendre. Comme toujours chez Giacomelli, tout est sujet à interprétation, allant jusqu'à éliminer certains personnages pour renforcer sa vision de cette réalité, laissant de côté les individus en prière.
Il est toujours étonnant de constater comment une photographie peut parfois nous transporter vers d'autres images mentales. Ici, c’est une image de derviches tourneurs prise par Ara Güler (dont nous avons récemment discuté), qui nous est revenue à l'esprit. Cette connexion nous invite à réfléchir à la similitude entre la ronde des prêtres de Giacomelli et la danse spirale des derviches tourneurs. Quoique différentes dans les émotions qu’elles expriment, toutes deux révèlent une forme de mouvement rituel et de transcendance spirituelle.
Après que Giacomelli eut gagné la confiance des séminaristes, son interaction avec eux prit fin abruptement lorsqu'il leur fournit des cigares pour des photographies qu'il prévoyait de soumettre à un concours sur le thème du tabagisme. Le recteur lui refusa alors l'accès ultérieur. Giacomelli attribua plus tard le titre "Je n'ai pas de mains qui caressent mon visage" à cette série, tiré des deux premiers vers d'un poème du père David Maria Turoldo (Italien, 1916-1992) sur de jeunes hommes en quête d'une vie religieuse solitaire. Ce titre confère une poignance aux moments d'exubérance et de camaraderie qui accompagnaient l'étude pour une telle vocation.
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