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Apprendre avec #2 | Marc Riboud


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Aujourd’hui dans Apprendre avec, nous allons porter notre attention sur l’œuvre du grand Marc Riboud (1923-2016) et voir quelles sont les leçons que nous pouvons tirer de son œuvre et appliquer à notre pratique.

Chine, 1957. Cité interdite sous la neige. © Marc Riboud

1. SAVOUREZ

"Si le goût de la vie diminue, les photos pâlissent parce que photographier, c’est savourer la vie au centième de seconde." Marc Riboud, figure éminente de l'agence Magnum, nous rappelait avec ces mots que capturer un moment précieux transcende la simple technique photographique. Chaque cliché devrait être une délicate fusion de sensibilité, d'intuition et de connexion profonde avec votre sujet.

Dans son héritage artistique, Riboud nous enseigne que l'essence de la photographie réside dans la capacité à savourer chaque instant et à explorer le monde avec un regard neuf. N’oubliez pas qu’une photographie est une réaction spontanée à une surprise. Vos bonnes photos se produiront lorsque vous embrasserez l'imprévu avec enthousiasme, laissant place à la spontanéité du moment. Ainsi, cultivez la disponibilité d'esprit et la réceptivité nécessaire pour saisir les instants magiques qui surgissent naturellement devant votre objectif, car c'est dans ces moments imprévus que réside la véritable poésie de la photographie.

Cette photo illustre clairement la surprise et la curiosité. Beaucoup de photographes de rue cherchent à rester invisibles. Pourtant, en demeurant invisible, on passe à côté de nombreuses opportunités de capturer d'excellentes images.

2. FAITES PREUVE DE PATIENCE

Dans un monde en perpétuel mouvement, où les moments fugaces glissent entre nos doigts comme des grains de sable, la patience devient la clé. Riboud ne se pressait jamais, préférant attendre que le tableau se dévoile naturellement devant lui, mentionnant dans plusieurs de ses entrevues qu'il aimait errer constamment, scrutant des détails qui pourraient sembler insignifiants pour d'autres.

Riboud nous rappelle constamment que la photographie récompense celles et ceux qui savent attendre.

La photographie de Riboud était une danse lente avec le temps, où chaque mouvement était orchestré par la patience. Que ce soit pour immortaliser un regard significatif, capturer l'instant parfait d'une scène de rue animée, ou attendre que la lumière naturelle caresse délicatement son sujet, les clichés de Riboud nous rappellent que la photographie récompense ceux qui savent attendre.

C’était aussi un photographe travaillant au long cours, souvent seul, presque timide. Comprendre le monde requiert une observation attentive et pour se forger une opinion, il faut le parcourir, et cela prend du temps. Avec sa démarche altruiste, Riboud n’a cessé de le parcourir durant plus de 60 ans. Alors comme lui, faites preuve de patience et donnez vous du temps, que ce soit dans vos sessions photos dans la rue, mais aussi dans vos projets au long terme, et gardez l’œil ouvert à toutes les surprises.

3. SOYEZ SENSIBLE AUX FORMES

Le cofondateur de l'agence Magnum, Henri Cartier-Bresson, appelait Marc Riboud "le géomètre". Dans la vie du photographe lyonnais, une constante était son inébranlable foi en la puissance de la composition, illustrée par sa conviction en la valeur éducative des grands maîtres de la peinture et de l'art. Pour Riboud, l'appareil photo, les films, et les papiers photographiques étaient simplement des outils, animés par l'individu qui les manie. Ce qui primait, c'était la forme et l'équilibre contenus dans chaque image.

Le photographe soulignait la nécessité d'une alliance entre la technique et la sensibilité, affirmant que l'une ne peut exister sans l'autre. Il insistait sur la nécessité d'avoir une base solide en composition. Ce n'est pas seulement une question de repérer des moments ou des détails intéressants, mais de les intégrer de manière harmonieuse pour créer une œuvre photographique cohérente. C'est dans cette alliance que réside le pouvoir de créer des images qui transcendent le simple enregistrement visuel.

Alors soyez attentif à l’harmonie dans vos images et développez une science du cadrage, afin de créer l’émotion. Faites attention aux formes qui vous entourent. Les courbes d'une rue, les silhouettes des sujets, la géométrie d'un paysage - chaque élément visuel contribue à la composition globale de l'image. Comme Riboud, considérez la photographie comme une expression artistique où la forme et l'équilibre créent un langage visuel puissant. En prêtant une attention particulière aux formes qui se présentent à vous, vous enrichirez votre composition.

4. SOYEZ CONCERNÉ

À travers son œuvre, Marc Riboud s'est imposé comme un témoin curieux, capturant des moments cruciaux de l'histoire contemporaine. Il a inscrit son objectif dans les plis des mouvements sociaux et des changements culturels, documentant ainsi l'évolution de la société.

Selon Riboud, être témoin ne consiste pas seulement à enregistrer visuellement des événements, mais à les ressentir profondément et à les comprendre. Sa participation active à la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale (il participera notamment à des combats dans le Vercors en 1944) témoigne de son engagement envers la justice et ses convictions. Cette approche transcende la simple photographie pour devenir une responsabilité sociale, une invitation à utiliser notre art pour documenter le monde qui nous entoure.

Lors des manifestations étudiantes de Mai 68 à Paris, Riboud était là, son appareil photographique témoignant de la force de la jeunesse en quête de changement.

Comme Riboud, soyez conscient des enjeux qui sculptent l'histoire de votre époque et explorez comment votre travail peut contribuer à la compréhension et à la mémoire collective. En embrassant le rôle de témoin, vous transformez votre art en un instrument puissant, capable de donner une voix aux moments silencieux de l'histoire et d'inscrire votre vision dans le tissu même de notre société.

5. PHOTOGRAPHIEZ LÉGER

Chez Préludes, nous plaidons continuellement en faveur d’une simplification de votre matériel photographique (nous avons même consacré un article à ce sujet). En effet, il existe de nombreux avantages à voyager léger, à se limiter à un seul appareil photo et un seul objectif.

À ce propos, Marc Riboud partageait l'histoire de sa célèbre photographie du "Peintre de la Tour Eiffel" prise à Paris en 1953 :

"En 1953, je quitte Lyon pour Paris. Ce sont mes premiers pas dans la capitale et dans la photographie. Avec mon Leica et un seul film, je me promène près de la Tour Eiffel en train d'être repeinte. Soudain, je remarque ces acrobates portant des pinceaux et, voulant les voir de plus près... je me dirige vers la tour, peut-être une heure de marche. Agrippé à ma petite valise à spirale avec seulement ma lentille 50 mm, je ne peux pas prendre de gros plans ou de plans larges, donc je n'ai qu'un choix : celui du bon moment. Ces contraintes, ces moyens limités, ont été ma chance en fait, et le choix était facile à faire sur cette planche contact, ce qui n'est pas toujours le cas. La meilleure photo attire l'œil, comme la bonne note frappe l'oreille."

Riboud a utilisé les contraintes de son 50 mm pour cadrer sa photo de manière appropriée et aussi pour attendre le bon moment dans la scène. Il compare l'insouciance du peintre dans sa photographie à la façon dont les photographes devraient agir en déclarant : "Je pense que les photographes devraient se comporter comme lui : il était libre et transportait peu d'équipement".

BONUS : ANALYSE D’UNE IMAGE

Pour terminer, jetons justement un œil à cette photo du peintre de la Tour Eiffel. C’est l’une des des photographies les plus célèbres de Marc Riboud, et sa notoriété n’est plus à faire. Cette image emblématique incarne la maîtrise de Riboud à fusionner la spontanéité avec une composition soigneusement orchestrée, simple et graphique.

Ce qui fonctionne ici, c’est l’incongruité de la situation et la posture du personnage, suspendu à son pinceau. «Il travaillait sans filet, ni même assuré par une corde», se rappelle Marc Riboud. Mégot aux lèvres, espadrilles aux pieds, le peintre rappelle un Buster Keaton ou le duo comique de Laurel et Hardy.

Buster Keaton

Les poutrelles obliques et la posture périphérique du sujet, dont le regard nous invite à sortir de l’image, donnent elles la sensation d’un équilibre fragile et improbable.

L’image s'est également imprimée dans les mémoires également par la justesse de la composition, qui utilise notamment plusieurs triangles, une des formes géométriques les plus fortes en photographie. Le triangle principal est un véritable “cadre dans le cadre”, ou cadre naturel, dans lequel est inscrite la silhouette de l’ouvrier. Riboud utilise enfin la verticalité de la poutre à gauche pour accentuer sa témérité et son engagement dans son travail, ne semblant faire plus qu’un avec le célèbre monument.

Nombreux sont les enseignements précieux qu’offrent les photographies de Marc Riboud. À son image, que chacune de vos images soit une déclaration d'amour à la vie et une affirmation de la beauté cachée dans l'imprévu.


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