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Apprendre avec #3 | Cristobal Hara


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Après Marc Riboud le mois dernier, nous allons évoquer aujourd’hui dans Apprendre avec un photographe encore trop peu connu de ce côté-ci des Pyrénées, le grand Cristobal Hara (né à Madrid en 1946), un photographe qui a su “peindre” le folklore de son pays, prenant comme sujet les célébrations et rites populaires d’Espagne, et qui a sans aucun doute quelques leçons à nous partager.

Baza, 1995. - © Cristobal Hara

1. N’HÉSITEZ PAS À CHANGER DE STYLE

C’est durant les années 70 que Cristobal Hara commence à se dédier totalement à la photographie. Durant plusieurs années, son exploration initiale se déroule principalement en noir et blanc, une pratique qui dominait alors le monde de la photographie documentaire. Ses premières photographies, en noir et blanc, témoignent d'une volonté documentaire claire, dans la meilleure tradition de l'"instant décisif" d'Henri Cartier-Bresson. Hara aspirait à devenir photojournaliste, bien que son objectif ne se concentrait pas tant sur les sujets que sur le langage photographique lui-même.

Cependant, Hara s’est au fil du temps lassé de cette esthétique et des résultats qu’il obtenait. C’est ainsi que malgré des qualités évidentes résultant de sa pratique de jusqu’alors, il prend la décision d’abandonner le noir et blanc et de donner une opportunité à la couleur, une décision qui l’emmènera vers les sommets de la photographie espagnole. Ce changement radical de style au milieu des années 80 est révélateur de sa volonté de se libérer de contraintes esthétiques préconçues. Dans plusieurs interviews, Hara a reconnu que le noir et blanc ne lui permettait pas d'exprimer pleinement sa vision artistique. Il ressentait qu'il lui manquait quelque chose, un élément essentiel pour transmettre son message en tant que photographe.

“Je travaillais depuis 17 ans en noir et blanc lorsque j’ai commencé à travailler exclusivement en couleur. J’avais alors 39 ans. Tout à coup, je me suis senti très à l’aise, libéré et euphorique. Les couleurs m’éblouissaient et me submergeaient, elles réagissaient entre elles, tout vibrait et je me sentais enveloppé par la couleur et ses possibilités.”. En embrassant la couleur, Hara découvre une palette d'expressions plus riche et plus dynamique. La couleur lui offre la possibilité non seulement de capturer la réalité visuelle, mais aussi de transmettre des émotions et des idées de manière plus vibrante et immersive. Elle lui permet d'affirmer son message avec une puissance accrue et une authenticité renforcée. Alors tout comme lui, nous devrions nous aussi être prêts à remettre en question nos conventions artistiques et à explorer de nouvelles voies si cela renforce notre discours et enrichit notre pratique photographique (voir sur la question du style la vidéo que nous avons récemment publiée à ce sujet).

2. DÉVELOPPEZ UNE CULTURE VISUELLE

À travers un langage visuel inspiré de l'œuvre de peintres comme Goya, Velázquez ou Ribera, Cristobal Hara construit un portrait de l'Espagne qui remet en question chaque image de ce que nous croyons savoir à son sujet. Ses clichés posent des questions inconfortables encore et encore jusqu'à devenir irrésistibles, en dirigeant nos yeux exactement dans la direction opposée à celle à laquelle nous nous attendons à regarder, ou du moins, d'une manière que seul lui semble savoir faire.

Plutôt que de simplement refléter ce que nous attendons de voir, Hara nous expose ce qui se cache habituellement sous notre regard superficiel, mettant en avant l'aspect formel bien au-dessus de l'action qui se déroule sous nos yeux. Sa capacité à créer des situations où la forme revêt une importance égale, voire supérieure, au contenu, témoigne de sa maîtrise de l'art visuel, dérivant d’une véritable éducation à l’image de sa part.

Pour un bon photographe, ce qui est important est ce qui précède la photographie, ce qu'il apporte à la situation photographique. Il faut se développer en tant que personne ; acquérir une culture visuelle. Chacun fait sa propre photographie et chacun suit son propre chemin, mais le chemin de l'un ne convient pas à l'autre.” - Cristobal Hara

3. ALLEZ JUSQU’AU BOUT DE VOS IDÉES

Cristobal Hara a pris la décision audacieuse de se consacrer à la photographie en 1969, alors qu'il résidait à Londres, après avoir découvert le travail d'Henri Cartier-Bresson. Cette décision l'a amené à abandonner ses études pour poursuivre sa passion. Plus tard, lorsque les doutes l'assaillaient, il a persisté en changeant radicalement de style, passant du noir et blanc à la couleur.

"Celui qui n'a pas d'autre choix que d'être photographe doit savoir qu'il joue sa vie avec une seule carte, et ici il n'y a pas d'excuses : soit vous prenez les photos, soit vous ne les prenez pas.” - Cristobal Hara

Durant l'apogée de sa carrière, Cristobal Hara était un photographe d'une persévérance exemplaire. Il se levait aux aurores pour explorer les petits villages du centre de l'Espagne, photographiant inlassablement jusqu'aux dernières lueurs du jour, encore et encore, pendant de longs mois. Son énergie était entièrement dirigée vers la création photographique. Ce que le corps pouvait supporter jusqu'à ce que l'on tombe, voilà qu’elle était la nature de sa détermination. C’est cet engagement avec ses propres idées qui aboutira à la réalisation de l'un de ses livres les plus remarquables : "Lances de Aldea", paru en 1992, soit près de huit ans après son passage à la couleur et le début du projet.

4. SOYEZ DIFFÉRENT

Ce qui ressort avant tout de l’œuvre de Hara c’est sa personnalité. C’est un langage singulier qu’il a su développer, parlant à la fois de son identité et de celle de son pays. Dans son approche, solitaire et vagabonde, le photographe a créé un style personnel, prenant le meilleur de ses pairs pour explorer son pays dans un univers où l’imperfection est synonyme de poésie et le burlesque est authentique.

Chez lui, les couleurs sont partie prenante de la composition. Il joue avec, les utilise. Il mêle l’expressionnisme abstrait nord-américain au baroque espagnol, essayant d'éviter la forme "correcte" et en recherchant son propre langage. C’est précisément cette recherche consciente qui lui a donné un style particulier et reconnaissable, ayant cherché des alternatives pour chaque norme imposée jusqu’alors.

C'est une leçon extrêmement importante que nous partage le photographe espagnol ici. Vous pouvez copier vos modèles du mieux que vous le pouvez, imiter leurs techniques avec précision, mais vous ne serez jamais aussi impactant que lorsque vous saurez développer un style qui vous est propre.

5. PENSEZ AU-DELÀ DE LA COULEUR

Ce dernier conseil peut paraître à rebours de ce que évoquons depuis le départ, voire en désaccord avec les dires même de Cristobal Hara. Pourtant, à bien y réfléchir, la couleur n'est pas si importante dans son travail. Bien qu'il utilise des photos de rues de villages espagnols comme interludes dans ses essais, dans un décor saturé et typiquement espagnol, la véritable essence de son art réside dans sa capacité à transcender la simple représentation visuelle. Ses images, bien que capturées dans une palette de couleurs vibrantes, vont bien au-delà de la tangibilité physique pour transmettre des messages plus profonds et émotionnels, à la frontière de la fiction et de la réalité.

En effet, Hara a réussi à donner une nouvelle signification à ses images, les transformant en récits visuels captivants qui défient nos attentes. À travers ses clichés, il explore les territoires espagnols d'une manière totalement inédite. Ainsi, bien que la couleur puisse être un élément visuel important dans son travail, ce qui compte avant tout, c'est la perception et l'interprétation uniques de Hara. C'est sa capacité à saisir l'essence même de son sujet qui donne à ses photographies leur pouvoir évocateur et leur impact durable, à travers une perspective personnelle et une compréhension profonde de la culture et de l'histoire espagnoles, entre religion et fêtes traditionnelles, vie et douleur.

BONUS : ANALYSE D’UNE IMAGE

Pour conclure, prenons le temps d’examiner une image extrêmement forte de Cristobal Hara, prise en 1989 et tirée de son ouvrage “Lances de aldea”. Comme souvent, le photographe y cherche un chaos organisé, doté de sens et d'intention, loin de reproduire ce qui a déjà été maintes fois immortalisé. C’est l'une de ses nombreuses photographies sur la tauromachie 'mineure', celle qui se déroule dans les villages, où les aspirants à la gloire cherchent fortune au milieu du sang, de la tradition et des festivités.

Les couleurs y sont intenses, reflétant la vigueur du soleil qui frappe la péninsule ibérique pendant une grande partie de l'année.

La composition de l'image est minutieusement pensée : un bras surgit depuis l'angle inférieur gauche, occultant partiellement le corps d'un torero tenant une oreille du taureau.

La position du bras est alignée avec le côté du corps, jusqu'à faire coïncider le poing avec la tête du torero. En même temps, à partir de ce bras, émerge le bras tenant le trophée ensanglanté. La périphérie joue également son rôle, attirant irrésistiblement le regard du spectateur vers le centre de la scène, où se produit un choc visuel, une superposition de plans créant une atmosphère à la fois saisissante et évocatrice.

L'angle de prise de vue, plongeant, accentue la netteté de la scène, tandis que le contraste entre les rouges et les bleus, entre la chair humaine et le costume noir du torero, confère une intensité remarquable à l'image. Au-delà de la performance tauromachique, cette photographie reflète une réalité complexe où se mêlent la fête et le sacrifice, où le spectateur est confronté à une vérité troublante.

La vision artistique de Hara agit comme un filtre, où se mêlent son vécu personnel, ses expériences en dehors de l'Espagne et les mythes qui imprègnent l’histoire collective espagnole, offrant ainsi une perspective unique sur son pays.


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